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Conférences Erik Bullot
ECAL, 29–30 avril 2013




Notes brèves sur Roland Sabatier et le performatif



Le film n'est plus qu'un souvenir, Roland Sabatier, 1975



I.


Je voudrais évoquer, en regard de la thématique du « cinéma d’exposition », un exemple emprunté à l’artiste lettriste Roland Sabatier, qui appartient à la deuxième génération lettriste. Ses premiers travaux datent de 1963. Sabatier aura poursuivi le vœu exprimé dès 1956 par Isou d’un cinéma imaginaire ou infinitésimal. Il propose dans nombre de ses œuvres une sorte de cadre performatif auquel sont conviés les spectateurs selon le projet d’un art supertemporel, énoncé également par Isou [1]. D’où le recours à des propositions qui sont autant de performances, d’énoncés, d’invitations à participer, de distributions d’images. Le document principal, Œuvres de cinéma, d’où je tire mes informations, est un livre A4, vraisemblablement photocopié, constitué de fiches techniques dûment complétées [2]. Chacune des propositions de l’artiste adopte une forme standard, relevant du cinéma traditionnel, affichant les données suivantes : format, durée, métrage, nombre de bobines, etc. On sait l’importance accordée par les Lettristes au thème de l’homologation, c’est-à-dire une inscription éditoriale, historique, qui fait foi, d’un point de vue administratif. Mais les films sont souvent sans pellicule, la bande son est parfois constituée des réactions des spectateurs. À cet égard, nous sommes en présence d’une catégorie de film papier.

[1] Sur l’esthétique imaginaire et l’art supertemporel, proches par certains aspects des propositions de l’art conceptuel, on lira Introduction à l’esthétique imaginaire et autres écrits, Isidore Isou, Paris, Cahiers de l’Externité, 1999.

[2] Roland Sabatier, Œuvres de cinéma, Paris, Publications Psi, 1984. Préface de Frédérique Devaux, « Roland Sabatier : De la reproduction à la représentation ou le cinéma en limite du cinéma ».


II.


II. Je présenterai un seul exemple : Le film n’est plus qu’un souvenir, 1975. Je cite la notice : « L’auteur s’avance vers le public et annonce, avec un air embarrassé, qu’il a réalisé un film ciselant, mais que ce film vient d’être détruit et qu’il ne pourra pas être projeté. Il propose finalement de remplacer cette œuvre par la présentation d’un certain nombre de documents qui témoigneront de son existence passée. Le nouveau film, qui n’est jamais nommé comme tel, se déroule dans des allusions au film qu’il remplace et se manifeste par l’exhibition confuse et malhabile des divers éléments : outillages, photos de studio, morceaux de chutes de pellicules, etc., sans oublier de fausses coupures de presse concernant des échos ou des critiques, qui, selon lui, seraient en rapport avec le film absent ou qui auraient servi à sa fabrication. [3]» J’ai pu interroger l’artiste. La performance décrite n’a jamais été activée. Son énoncé est à cet égard strictement performatif. Il existe bien une photographie d’une présentation des objets, reproduite dans différents catalogues. Il ne s’agit pas d’une exposition publique, mais d’une photographie mise en scène et prise dans l’atelier de l’artiste à Aubervilliers. Le document s’est substitué au film (absent). On peut s’interroger sur les liens du lettrisme avec l’art conceptuel. S’agit-il ici d’un document performatif ? « Un document performatif est donc un document qui ne s'épuise pas dans l'acte de documenter ; il transforme le mode d'être — le statut ontologique — de ce qu'il documente. D'une action ordinaire, ou extraordinaire, il en fait une action artistique. [4]»

[3] Ibid., p. 60

[4] Stephen Wright, « Visibilités spécifiques », publié dans la brochure éditée à l’occasion de l’exposition Film Papier, à l’initiative du post-diplôme Document et art contemporain, qui s’est tenue en mars 2013 à la Galerie La Box (Bourges).


III.


Le cinéma est-il entré dans un âge performatif qui nous permet de revisiter des expériences oubliées, voire refoulées, comme celles du lettrisme ? J’entends dans le terme performatif les deux significations, à la fois artistiques et linguistiques, au sens d’Austin. Qu’en est-il du cinéma d’exposition ? On connaît les sens multiples du terme « exposition », qu’il s’agisse de l’orientation géographique (un site est plus ou moins bien exposé), du sacrifice humain (l’abandon d’un nouveau-né), de l’irradiation (exposition aux rayonnements), mais également, au sens rhétorique, de la première partie d’une œuvre au cours de laquelle l’auteur présente son projet, nommé parfois proposition. En exposant les principes du cinéma, le cinéma d’exposition relève-t-il du performatif, au sens rhétorique ?