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L’objectif du projet « Cinéma exposé » est double : reconstituer, à partir de recherches en archives, la place du cinéma et de l’image en mouvement dans le champ de l’art contemporain en Suisse romande ; éprouver, à travers des ateliers pratiques avec des artistes et cinéastes, et des conférences de curateurs et de praticiens de l’image en mouvement, les implications du contexte de l’exposition sur les formes d’expérimentation filmique (gestion de la durée, multiplication des surfaces de projection, réception par un spectateur mobile).

Depuis les années 1990-2000, les lieux de production et de diffusion du cinéma indépendant ont migré de la scène cinéphilique et « alternative » à l’espace d’art contemporain. Ce déplacement de perspective a conduit à un renouvellement des pratiques filmiques, les réalisateurs assimilant ou détournant les conventions et les contraintes des arts visuels. La réception publique des œuvres, ainsi que les discours critiques et théoriques qui les contextualisent, connaissent le même infléchissement de sens et remaniement de cadre de référence.
Ce phénomène d’absorption du cinéma indépendant connaît néanmoins des antécédents ; de fait, il s’inscrit dans une histoire qui commence à être balisée sur le plan international, à travers diverses recherches, publications et programmes d’études. La Suisse a joué un rôle de pionnier dans cette interaction entre cinéma indépendant, arts plastiques et arts de la scène. Diverses structures ou institutions, en étroite interaction avec les artistes, se sont ainsi consacrées, dès la fin des années 1970, à la production, à l’exposition et à la conservation de films et de vidéos d’artistes, parallèlement aux coopératives de cinéastes indépendants (actives aux Etats-Unis dès 1962, et donnant rapidement lieu à un mouvement homologue en Europe, notamment en Suisse dès 1966 avec Film Forum).

Ce projet entend faire le point sur les modalités de projection et d’exposition de films et vidéos d’artistes en Suisse romande, en examinant les principales manifestations d’art contemporain et les festivals de cinéma depuis la fin des années 1960. La problématique de cette recherche s’inscrit ainsi dans les études curatoriales qui se sont développées sur un plan international ces dix dernières années, qu’il s’agit ici de confronter à l’histoire du cinéma expérimental et à ses modalités de présentation publique. À travers l’étude spécifique d’événements (biennales, festivals, salons d’art et expositions), il s’agit de souligner le rôle pionnier de la Suisse dans la diffusion et l’exposition de vidéos et de films d’artistes, tout en examinant les échanges ponctuels avec le champ du cinéma expérimental qui était distinct et autonome jusque dans les années 1980. L’émergence de la pratique du commissariat d’images en mouvement en Suisse romande autour des années 1970 permet d’examiner à travers un nouvel éclairage les divergences entre différents paradigmes d’exposition : en l’occurrence, les musées, les galeries, les centres d’art, les festivals, les salles indépendantes, les lieux alternatifs et festifs.

En Suisse romande, les manifestations consacrées à l’exposition de films et de vidéos d’artistes se déploient principalement à travers trois villes : Genève, Lausanne et Locarno. L’objectif de ce projet de recherche, sur le plan strictement académique, est de cartographier les festivals, les expositions et les programmations qui se sont déroulés dans ces lieux, à partir de recherches en archives. Ce corpus n’a pas fait l’objet d’une prise en compte systématique, malgré l’ancrage américain de l’exposition organisée par la critique d’art Annette Michelson (New Forms in Film, Montreux) et le statut de laboratoire de recherche que représentent le VideoArt Festial (Locarno), sous l’impulsion de René Berger, et la Semaine internationale de la vidéo/Biennale de l’image en mouvement (Genève), fondée par André Iten.

Le pan scientifique de la recherche est pris en charge par François Bovier, professeur-chercheur au sein du Département Cinéma de l’ECAL, et Adeena Mey, collaborateur scientifique (doctorant à l’Université de Lausanne). En relation avec la recherche strictement académique, le projet « Cinéma exposé » met également en jeu deux ateliers conduits par des cinéastes plasticiens (avec les étudiants en cinéma de l’ECAL), ainsi qu’un atelier organisé par les professeurs et artistes Luc Andrié, Philippe Decrauzat et Denis Savary (avec les étudiants en Arts visuels de l’ECAL). François Bovier encadre ces différents ateliers, en présentant les enjeux de la recherche et ses interactions avec la pratique artistique.

Un premier atelier, conduit par Hannes Schüpbach, interroge la spatialité du dispositif cinématographique, à la croisée du cinéma expérimental et de l’installation. Hannes Schüpbach, actif dans la programmation et l’édition (à travers la structure Filmdirekt), éprouve avec les étudiants les différentes formes d’espace et de temps qui sont impliquées par le dispositif cinématographique (black box) et par l’espace d’exposition (white cube). Le recours à la pratique filmique (tournage en 16mm et exposition conçue à partir de films) permet de discuter les questions relatives à la construction de l’espace, à la texture de l’image et à la gestion de la durée filmique dans le cinéma d’exposition.

Un deuxième atelier, animé par Malcolm Le Grice, porte sur l’installation d’images en mouvement et leur interaction avec le son. Malcolm Le Grice, artiste et cinéaste britannique, cofondateur d’Arts Lab et de la London Film Cooperative, éprouvera avec les étudiants en Cinéma et en Arts visuels différentes modalités de multiprojection, tout en impliquant le corps de l’artiste devenu performer. Le studio de tournage de l’ECAL, à savoir un imposant white cube, servira de support et de cadre à ces installations, projections et performances, menées à partir de l’œuvre multimédia de Malcolm Le Grice et de matériaux tournés ou assemblés pour cet atelier.

Un troisième atelier, supervisé par Luc Andrié, Philippe Decrauzat et Denis Savary (professeurs dans le Département d’Arts visuels de l’ECAL), interroge les articulations entre la période contemporaine et des œuvres artistiques « historiques », en confrontant les étudiants à des scénarios non tournés ou des instructions de tournage, à des schémas d’installations filmiques ou de pièces vidéo, et à la reconstitution de séances de « cinéma élargi ». Les recherches menées en archives sont activées ou réactualisées dans le cadre de cet atelier de création, où il s’agit de reconstituer des pièces historiques perdues et de tourner des projets non réalisés conduisant à une exposition collective.
Enfin, une série de conférences données par des curateurs, des artistes, des performeurs et des cinéastes expérimentaux permettent de confronter les méthodes d’investigation scientifique de cette recherche avec la création contemporaine, tant sur le plan de la production d’œuvres filmiques ou plastiques que sur celui de l’exposition d’images en mouvement

Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, dirigé par René Berger de 1962 à 1981 : dans le cadre des expositions organisées par René Berger, l’art vidéo est omniprésent.

Parmi les artistes suisses présentés : René Bauermeister, Gérald Minkoff, Muriel Olesen, Jean Otth, Pipilotti Rist, Janos Urban.